A travers le plexiglas, trois petites pièces en chiffon blanc se livrent aux regards. En se rapprochant, on aperçoit de fines broderies raccommodées. Les œuvres n’ont pas pris une ride depuis 1976. On dit le papier fragile… la preuve du contraire. Viviane Fontaine y puise force et inspiration. L’artiste avait présenté ces trois créations pour son travail de diplôme aux Beaux-Arts de Genève. Il s’en est suivi des centaines d’autres. Les années ont passé. Le lac Léman a laissé sa place au lac de la Gruyère. Mais Viviane Fontaine n’a jamais abandonné le papier.

Dès ce week-end et jusqu’au 24 mars, l’artiste expose 95 œuvres au Vide-poches. Des premières créations aux dernières nouveautés, c’est le parcours d’une vie que les visiteurs pourront découvrir à la galerie de Marsens. A commencer par ces compositions blanches et vierges de tout dessin. «J’ai mis du temps à pouvoir dessiner sur les papiers que je fais, confie l’artiste. C’est une matière tellement présente…»

Un comble pour celle qui, durant ses études, voulait tout savoir des techniques du dessin académique. A force d’être en contact avec le papier, le support finit par l’interpeller. Jusqu’à devenir œuvre à part entière. «J’ai commencé à bricoler mon papier avec un mixer et du chiffon», se souvient Viviane Fontaine. Elle adresse des regards tendres et confiants à ses créations d’autrefois.

«C’est comme si le temps s’était suspendu. Je me retrouve complètement. Je me souviens du lieu, du moment et de l’état d’esprit dans lequel j’étais en les faisant.» Ces œuvres laissent entendre des refrains. La couture et le fil apparaissent comme autant de leitmotiv. Mais la variété demeure le fer de lance. A bientôt 60 ans, Viviane Fontaine se sent libre dans son expression. Elle crée des choses différentes sans poids à soulever ni compte à rendre. «Je peux faire du rouge très fort et ensuite du blanc, ou même du transparent.» Il fut un temps où ses dissonances lui étaient reprochées. «Certains ne comprenaient pas. Ils avaient l’impression que l’exposition était le fruit de plusieurs artistes.»

Papier de tous les possibles
Omniprésent, le papier n’a pourtant jamais cessé d’apporter une cohérence à l’ensemble. «Mais il y a tellement de possibilités de le travailler… Et puis, moi-même, je sens que j’ai plusieurs facettes.» La galeriste Marianna Gawrysiak a donné carte blanche à l’artiste pour qu’aucun de ses visages ne reste dans l’ombre. En découvrant ces dizaines d’œuvres, on s’émerveille devant la finesse des papiers de tilleul, de mûrier ou de tremble.

J’aime la différence entre le papier occidental qui se fabrique en accumulant de la matière sur le tamis et le papier japon qui se fait en rejetant les fibres.

Les fibres s’entremêlent dans des compositions picturales, les plantes ont été transformées pour confectionner des œuvres sculpturales. Le papier prend des allures folles. Etendu, ramassé, empilé, enchevêtré. Il donne forme à des papillons prêts à s’envoler, à des kimonos qui auraient fait le bonheur des empereurs. Les mains de l’artiste façonnent des bols comme elles confectionnent des habits.

Viviane Fontaine mélange volontiers les matières à la recherche de réactions lumineuses. Le jeu des transparences est un territoire privilégié de l’artiste. Elle cède parfois à l’envie de «raconter deux ou trois choses» sur ses papiers. «C’est tout de même le support de l’écriture.» Les lettres trouvent alors leur place dans la composition. Elles signifient sans être lisibles pour autant.

 

De façon étonnante, ses œuvres ont parfois fait écho aux événements de sa vie. Le passage du blanc à la couleur, à la fin des années 1980, a coïncidé avec la mort de son père. «Je me suis aussi rendu compte après coup que j’avais créé un vêtement de papier chaque fois que ma vie avait pris une nouvelle trajectoire.»

Le maître japonais
Le papier japon se retrouve dans de nombreuses créations. «J’aime la différence entre le papier occidental qui se fabrique en accumulant de la matière sur le tamis et le papier japon qui se fait en rejetant les fibres.» Celle qui a longtemps enseigné dans les cycles d’orientation gruériens se réjouit de rejoindre bientôt son maître au Japon. Pour apprendre à percer d’autres mystères qui se cachent entre les fibres du papier.